Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Pourquoi, comment et quand se mettre nu sur un plateau de théâtre ? Avec le solo Je rentre dans le droit chemin (qui comme tu le sais n’existe pas et qui par ailleurs n’est pas droit), le danseur et chorégraphe Sylvain Riejou se confronte aux enjeux de la nudité en danse contemporaine et explore le rapport (dé)complexe·é de l’interprète avec son propre corps. Dans cet entretien, Sylvain Riejou partage les rouages de sa démarche artistique et revient sur le processus qui l’a amené à s’intéresser à la nudité en danse.
Je rentre dans le droit chemin (qui comme tu le sais n’existe pas et qui par ailleurs n’est pas droit) est le deuxième volet d’une trilogie qui gravite autour de vos « questionnements artistiques ». Quelles réflexions traversent cette recherche au long cours ?
Avec ces trois spectacles, je me questionne sur la manière de donner à voir ma méthode de travail et les chemins que j’emprunte pour créer un spectacle. Disons que je cherche à mettre en scène le processus créatif tel que je l’envisage. Depuis bientôt 15 ans, je suis interprète pour des chorégraphes, des metteurs en scène et des artistes plasticiens qui ont des manières très différentes d’envisager la création artistique. Cette place d’interprète est un endroit privilégié pour observer la façon dont ces artistes élaborent leur processus créatif. D’ailleurs, il m’est arrivé de trouver les chemins de créations plus intéressants que les créations en elles-mêmes : les exercices par lesquels on passe, les discussions, les tensions, les doutes et surtout les moments de jubilation collective. Je me suis rapidement dit qu’il était dommage que les spectateurs n’aient pas accès à tout ça et qu’il y avait un vrai potentiel à créer de la fiction autour de ces expériences. Pendant des bords plateaux certains spectateurs étaient surpris d’apprendre que pour créer un spectacle d’une heure il faut deux ou trois mois de travail, parfois plus. Je voulais donc essayer de montrer que pour créer un spectacle on passe par beaucoup de pistes qu’on abandonne ou qu’on réoriente. En effet, lors d’une création on traverse des expériences qui sont juste des étapes qui n’apparaissent pas dans le spectacle. L’acte créatif n’est pas rectiligne mais sinueux. C’est un processus long, parfois douloureux et les artistes ont besoin de ça pour se surprendre eux-mêmes.
Les deux premiers opus de cette trilogie ont pour point commun l’utilisation de la vidéo. D’où vient votre intérêt pour ce médium en particulier et surtout, quelle était la nécessité de son usage pour ces deux pièces en particulier ?
La vidéo m’a toujours fasciné car elle offre au corps des aptitudes surnaturelles. Plongé dans l’univers virtuel de la vidéo, le corps peut se démultiplier, se déplacer instantanément, modifier son échelle etc. Il peut donc se libérer des contraintes de la réalité physique. En revanche, il perd sa capacité à envahir la troisième dimension de l’espace et à improviser. Lors de ma résidence de recherche à L’L (lieu de recherche artistique à Bruxelles qui permet à un artiste de s’engager dans un travail expérimental, en solitaire, sans obligation de résultat, ndlr) entre 2013 et 2016, j’ai développé des outils pour basculer mon corps de l’espace réel du plateau vers l’espace virtuel de la vidéo et inversement. Je voulais lui offrir les avantages de ces deux espaces qui ouvrent des chemins de mouvement différents et complémentaires. Ces recherches m’ont permis de donner vie à mon double virtuel, une image vidéo de mon corps projetée grandeur réelle, avec laquelle je peux danser et dialoguer. Mon premier solo Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver, est un duo entre moi et ce double virtuel, lui étant le chorégraphe et moi l’interprète. L’utilisation de la vidéo est donc primordiale et présente tout au long du solo. Dans le deuxième solo, Je rentre dans le droit chemin (qui comme tu le sais n’existe pas et qui par ailleurs n’est pas droit), qui traite de la question de la nudité en danse contemporaine, la vidéo prend moins de place. Mon double virtuel n’est plus qu’un corps, il ne parle pas. Il me permet juste de prendre de la distance avec mon image corporelle. Je peux ainsi la détailler et l’analyser plus objectivement, un peu comme devant un miroir, sauf qu’ici mon reflet peut bouger indépendamment de mon corps réel. Au fur et à mesure du solo, ce corps virtuel disparaît pour laisser toute la place à mon corps réel.
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